Depuis la présentation de la PPL à la bourse du travail de Paris le 6 décembre 2023, les organisations qui la portent ont participé à de nombreuses réunions publiques pour en exposer les principes. L’accueil a toujours été enthousiaste car beaucoup d’artistes-auteur·ices considèrent que ce travail de conquête d’un nouveau droit représente un espoir de pouvoir enfin sortir de la précarité entretenue par un système inégalitaire et ultra-concurrentiel. Pendant ces mois de présentations, de rencontres et de débats avec les travailleur·ses de l’art, nous avons parfois été confronté·es à des interrogations et à des objections. Nous profitons de la réimpression de cette édition pour les recenser et y apporter nos réponses.
Sans être employé·es, les artistes-auteur·ices sont déjà assimilé·es à des salarié·es par la Sécurité sociale. Il s’agit d’appliquer ce principe d’assimilation à l’assurance-chômage et de montrer qu’indépendance n’est pas un synonyme de précarité. Au contraire, l’autonomie des créateur·ices sera renforcée par des droits robustes partagés par l’ensemble des travailleur·ses.
Non. Le critère de subordination n’est pas requis pour accéder aux droits. Comme nous l’expliquons régulièrement, les artistes-auteur·ices ont déjà les mêmes droits que les salarié·es du privé en matière de santé, de retraite et de prestations familiales. La proposition de loi visant à « instaurer un revenu de remplacement » a pour unique objectif de leur ouvrir la branche chômage de la protection sociale, ce qui ne nécessite aucun changement de statut juridique, social ou fiscal. C’est simplement un droit en plus.
L’accession aux droits salariaux précédemment cités n’a pas entravé la liberté des artistes-auteur·ices. De même, leur entrée dans l’assurance-chômage ne modifiera ni leur statut ni leur rapport à l’administration. Par ailleurs, l’indépendance des créateur·ices est réelle mais limitée. Dans le secteur des arts visuels, par exemple, ils et elles doivent se plier à des règles et maîtriser des codes implicites pour vendre des pièces, être exposé·es ou décrocher des résidences. Si ces codes sont ignorés, leur travail ne sera pas diffusé dans des réseaux permettant de se professionnaliser. Ainsi, de nombreux·ses artistes modifient leur pratique – d’une manière plus ou moins consciente – pour répondre aux attentes de l’institution ou du marché. Au contraire, la continuité de revenus les émancipera des injonctions des commanditaires et des diffuseurs.
Non. La proposition de loi relève du droit social tandis que le droit d’auteur est composé de droits moraux et patrimoniaux. Ce dernier protège les créations et organise une répartition des recettes générées par leur vente ou leur diffusion. Le droit d’auteur est un outil important, mais il concerne les œuvres plus que les travailleur·ses qui en sont à l’origine. Nous devons sécuriser les personnes elles-mêmes, ce qui n’implique aucune remise en question de leurs droits moraux et patrimoniaux.
Évidemment non. Les ressources issues de droits d’auteur hérités constituent des revenus du patrimoine et non des revenus d’activité. Elles ne peuvent être déclarées comme du salaire, par exemple, alors qu’un·e auteur·ice vivant·e peut déclarer ses revenus dans la catégorie « traitements et salaires ». Les droits d’auteur perçus par des ayants droit ne relèvent pas du régime des artistes-auteur·ices. Ils sont imposables en tant que bénéfices non commerciaux non professionnels et doivent supporter les prélèvements fiscaux applicables aux revenus du patrimoine.
Les auteur·ices étranger·es en possession d’un titre de séjour, d’une autorisation provisoire de séjour ou d’un récépissé les autorisant à travailler devront en bénéficier dès lors que leurs revenus sont déclarés à l’Urssaf Limousin.
Non et nous y sommes attentif·ves. La continuité de revenus des artistes-auteur·ices nécessitera sans doute la création d’une nouvelle annexe à la convention Unédic et n’impactera pas le régime de l’intermittence. Nous travaillons avec les syndicats de salarié·es intermittent·es du spectacle et avec les organisations d’auteur·ices concerné·es par les deux régimes (les réalisateur·ices, par exemple) afin d’évaluer les mécanismes qui permettront une coexistence harmonieuse et avantageuse pour tous·tes.
Répétons-le : cette proposition est finançable à la fois par la participation des artistes-auteur·ices (qui payent déjà la CSG,
une contribution représentant 35 % des ressources de l’Unédic), par la création d’une cotisation chômage applicable aux diffuseurs et par la solidarité interprofessionnelle, car il s’agit d’intégrer la caisse commune de l’assurance-chômage.
Il est vrai que le taux de recouvrement de la contribution des diffuseurs est encore faible, mais on ne peut pas pénaliser des dizaines de milliers de travailleur·ses sous prétexte que la Sécurité sociale n’a pas les moyens d’accomplir ses missions. Nous sommes favorables à un renforcement des services
de l’Urssaf, c’est pourquoi nous envisageons d’ajouter un article
dans la PPL soulignant qu’il est de sa responsabilité de
recouvrer la totalité des contributions dues par les diffuseurs.
Cela ne changera rien : la cotisation chômage des diffuseurs sera versée en même temps que leurs contributions actuelles à la Sécurité sociale et à la formation professionnelle.
On serait plutôt tenté de dire que c’est l’inverse. En 2022, l’État a ponctionné 3,9 milliards d’euros dans la caisse de l’Unédic pour financer Pôle emploi (devenu depuis France Travail), une administration relevant de son périmètre. Rappelons que l’Unédic n’est pas l’État, même si les dernières réformes de l’assurance- chômage l’ont en partie étatisée. C’est une structure associative gérée par les partenaires sociaux et largement alimentée par nos cotisations. Si l’État s’inquiète des coûts qui pourraient lui incomber, nous lui recommandons de cesser de se mêler des affaires de l’assurance-chômage.
Dans un environnement ultra-concurrentiel, le simple fait de demander à être payé·e est un problème. Nous insistons sur la nocivité de ce type de logique dont il faut sortir par tous les moyens. Construire de nouveaux droits permettra aux artistes- auteur·ices d’améliorer la qualité de leur travail et de ne plus accepter par défaut des emplois alimentaires ou sous-payés. La création en sortira grandie et cela bénéficiera également à nos diffuseurs et commanditaires.
Cette affirmation ne repose sur aucune démonstration. Quelque soit leur statut (artisan·es, auteur·ices ou pigistes), les photographes doivent pouvoir bénéficier d’une continuité de revenus. Les activités artistiques sont toutes différentes mais nos droits sont communs et doivent le rester. L’assurance-chômage a fait ses preuves pour trente millions de travailleur·ses aux profils extrêmement divers.
Nous contestons cette vision « romantique » de la pratique artistique. La culture défaitiste et doloriste du travail-passion appartient au passé et de nombreuses études ont fait la preuve de sa nocivité. Faire un métier qui nous plaît ne doit pas nous condamner à la pauvreté ou à l’abandon de trajectoires individuelles nécessitant, par exemple, l’achat ou la location d’un logement adapté à une vie de famille.
En 1949 déjà, le député Paul Reynaud (Républicains indépendants) expliquait que la hausse des cotisations de sécurité sociale pénaliserait les entreprises françaises face à « des ouvriers japonais qui continuent à se nourrir d’un bol de riz comme leurs ancêtres » (sic). Cet argument a toujours été brandi par les conservateur·ices pour empêcher l’amélioration des statuts et pour dégrader les salaires. Le moins qu’on puisse dire est que l’Apocalypse annoncée par Reynaud n’a pas eu lieu !
Nous faisons face à un choix politique : soit rester sans droits et laisser la main du marché piloter nos vies et nos professions, soit s’atteler à bâtir des dispositifs qui changeront la vie des artistes. Le risque de dumping social existe, mais c’est par l’organisation collective et la construction de droits que nous y mettrons fin, et non en acceptant des conditions de travail toujours plus dégradées pour complaire à certains diffuseurs plus soucieux de s’enrichir que de servir la création. Par ailleurs, nous souhaitons que notre initiative ouvre la voie à la mise en œuvre de dispositions similaires pour d’autres catégories de travailleur·ses, en particulier les micro-entrepreneur·ses.
Les organisations professionnelles (associations, collectifs et syndicats) de tous les secteurs de la création ont été invitées à plusieurs réunions et ce depuis 2022. Certaines ont fait le choix de ne pas donner suite car elles jugeaient le projet « irréaliste » ou « imprécis ». C’est évidemment leur droit mais elles ne pourront pas nous reprocher de ne pas être partie prenante. Au bout du compte, plus de 40 organisations et près de 17 000 personnes ont signé une tribune de soutien parue le 25 mars 2024 dans Le Monde. On peut donc dire sans exagérer que cette proposition de loi emporte l’adhésion des artistes-auteur·ices.