Nous devons chérir la création, celle qui nous révèle, nous relie, nous fait vibrer, nous interroge, nous
rend libres… Nous devons chérir la création car elle est essentielle à la réalisation de l’humanité et à
l’émancipation humaine. Nous devons chérir la création face aux menaces du marché, des autoritarismes, des
intégrismes.
Créer ne doit pas être réservé à quelques-uns. Mais créer est aussi un travail, avec des femmes et des
hommes
dont le geste créateur est le métier. Si les œuvres nous sont essentielles, le travail qui leur permet
d’advenir ne saurait être abandonné à l’indifférence ou invisibilisé. Dans un monde où l’on ne considère que
le produit, nous continuons à vouloir parler de l’œuvre. Dans un monde piloté par les coûts et les
résultats,
nous continuons à vouloir faire reconnaître les métiers et le travail. Sans les artistes-auteurs-autrices,
il
n’est pas d’œuvres.
On ne les reconnaît aujourd’hui réellement que sous la forme du droit d’auteur qui ne constitue pas une
rémunération du travail mais du patrimoine. La réflexion que nous avons engagée, sous l’impulsion de
Jean-Jacques Barey, avec la commission culture du Parti communiste vise à ouvrir une nouvelle voie. Il y a
beaucoup à faire, et l’urgence nous a conduit à mettre en avant le sujet de la protection sociale. Car le
travail, cet engagement de soi pour répondre aux besoins humains, doit être créateur de droits.
Nous avons travaillé avec de nombreux acteurs et actrices de la création artistique pour poser la question,
dans un premier temps d’un revenu de remplacement lorsque l’activité n’est pas au rendez-vous. Parler de
protection sociale, et pis encore d’assurance-chômage, est malheureusement audacieux par les temps qui
courent. C’est pourtant essentiel et les mobilisations sociales qui se sont fait jour ces dernières années
montrent la puissance des aspirations populaires à cet endroit. Les artistes-auteurs-autrices n’en sont pas
à
l’écart.
Ce text a pour ambition de rendre cette question incontournable au regard de l’urgence sociale et de
l’urgence culturelle entremêlées : quels droits sociaux pour les artistes-auteurs ?
Aucune œuvre, aucun livre, aucun film, aucun spectacle théâtral ou musical, aucune création visuelle ou
plastique ne verrait le jour ni ne serait offert au partage d’un public sans le travail initial d’un·e
auteur·ice.
L’auteur·ice tient une place décisive dans la création, dans l’économie des arts et de la culture, et plus
généralement dans la vie intellectuelle de notre pays. Il ou elle en est la racine, la condition sine
qua
non.
Nous sommes pourtant face à un paradoxe : si quelques auteur·ices jouissent d’un statut symbolique
privilégié, la grande majorité est déconsidérée dans son travail, dans son apport à la société et à
l’économie. Ils ou elles sont traité·es comme de simples « fournisseur·ses » de « matière première ».
La crise sanitaire de ces dernières années a révélé, s’il en était besoin, la situation de grande précarité
dans laquelle vivent une majorité de ces créateur·ices, qui pour leurs activités professionnelles obtiennent
des revenus les plaçant sous le seuil de pauvreté.
Il s’agit donc de rendre justice à leur rôle central dans les mondes des arts graphiques et plastiques, de
la littérature, de la musique, du théâtre, du cinéma et de reconnaître leur qualité de travailleur·ses dès
que
le fruit de ce travail sort de la sphère privée et fait l’objet d’échanges et d’activités.
Aujourd’hui, la rémunération des créateur·ices repose sur le principe du droit d’auteur, faisant de l’œuvre
la propriété exclusive d’un·e auteur·ice, source d’un droit patrimonial qui lui permet de tirer
profit de la
diffusion de son œuvre. L’auteur·ice est ainsi considéré·e par le droit comme un·e « rentier·e » dont le
patrimoine est susceptible de produire (ou non) un revenu. Dans les arts graphiques et plastiques, la
rémunération repose également sur la cession d’œuvres uniques. Dans les deux cas, le revenu n’est pas issu
du travail mais de la diffusion de son produit.
Pourtant, l’auteur·ice accomplit bien un travail. Certes, il ou elle exerce une profession d’un
genre
particulier qui implique de la part de celui ou celle qui l’adopte un investissement personnel, intime
voire affectif. Mais la spécificité des disciplines artistiques ne saurait occulter ce qui rapproche les
créateur·ices des autres travailleur·ses et qui s’avère, au plan économique et social, bien plus important
que ce qui les distingue : présence attendue dans les espaces liés à la création, échanges avec les autres
acteur·ices de l’exploitation de l’œuvre, réécriture, réponses à des demandes spécifiques, promotion,
salons, actions culturelles, etc.
Le simple fait que l’auteur·ice reste seul·e non salarié·e lors de l’exploitation de l’œuvre induit la
nécessité d’une réflexion de fond sur ce statut particulier, pratiquement inchangé depuis le dix-huitième
siècle. On peut ainsi s’étonner de l’absence d’un mécanisme comparable à celui de l’assurance-chômage
pour les artistes-auteur·ices, leur garantissant, comme aux autres travailleur·ses une continuité de revenu.
Depuis la crise sanitaire, un groupe d’artistes, de syndicalistes et de militant·es animé par la
commission culture du Parti communiste français, a entamé un travail d’élucidation et de propositions
susceptible de déboucher sur la mise en œuvre d’un droit au revenu de remplacement. Cette brochure est
l’émanation de ce travail collectif.